Les As du camouflage

Jouons à cache-cache ! Les récifs coralliens peuvent être assimilés à des villes denses où cohabitent plusieurs espèces de poissons et créatures sous-marines.

Publié le 19/02/2021

Chaque habitant pouvant être une proie ou un prédateur (ou souvent les deux à la fois), il est important de pouvoir jouer sur son apparence physique afin de pouvoir surprendre, tout en prenant soin de mettre toutes les chances de son côté pour ne pas être surpris à son tour.

Agence-voyage-plongee

Les tactiques utilisées pour arriver à ses fins sont parfois impressionnantes, parfois toutes simples et il faut souvent plusieurs plongées sur le même site pour prêter attention à certaines espèces que l’on n’aurait pas aperçu dès la première immersion. En effet, comme lorsque l’on visite une grande ville, s’attarder plusieurs fois sur un site de plongée permet d’apporter davantage d’attention aux détails et déterminer comment font ses habitants au quotidien pour vivre et survivre au cœur des formations coralliennes. Étudions en détail quelques-unes des espèces qui sauront (si vous les débusquez) retenir toute votre attention par leur ingéniosité et leur mode de vie.

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1. Le poisson-pierre

Tout le monde a une place dans l’organisation sous-marine et pour le poisson-pierre, c’est son camouflage qui la détermine. Avec son physique terne (et on l’avouera, un peu disgracieux...), il mène une existence très banale à la périphérie des récifs coralliens. Loin du chatoiement et des couleurs exubérantes des autres espèces de poissons avec qui il partage son habitat, il semble bien plus à sa place dans les recoins sombres et anfractuosités, là où il est pleinement heureux. 

Ce n’est pas toujours facile pour lui de se trouver un coin de récif tranquille et à l’abris des regards. Autour des récifs, les crevasses sont fortement prisées et chacun ne trouvera pas forcément midi à sa porte comme on dit. Ainsi, la plupart des poissons-pierre que vous pouvez observer en plongée, à découvert, sont ici sans pour autant le vouloir. C’est lors de ces observations à « découvert » que l’on peut se rendre compte de son pouvoir de mimétisme par rapport à l’environnement qui l’entoure. On remarque alors que ce poisson a une extrême capacité à rester immobile, et pour cause ! Au plus le poisson-pierre restera immobile sur le plancher marin, au plus il aura de chance de voir son épiderme colonisé par des algues encroutantes. C’est donc de cette façon qu’il améliore son camouflage jour après jour. D’ailleurs, vous pourrez le repérer relativement vite lorsqu’il se déplace (et c’est sans doute là votre seule chance de l’apercevoir réellement), car ce n’est ni le plus élégant ni le plus discret des nageurs. Il bat gauchement des nageoires pectorales et son corps, loin d’être fuselé, se tortille comme il peut. Un fait intéressant à propos de cette espèce et à toujours garder en tête pour vos plongées : ne jamais, au grand jamais toucher un poisson-pierre. Treize arrêtes en forme d’épines se cachent dans sa nageoire dorsale et elles sont mortelles, elles libèrent un venin extrêmement toxique qui en font l’une des créatures les plus dangereuses du monde sous-marin ! Cependant, n’ayez crainte, ces épines ne sont pas des armes d’attaque mais un formidable arsenal de défense. Une arme de dissuasion mortelle contre les prédateurs plutôt efficace...

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2. L’antennaire

L’antennaire... Voici l’une des stars des plongées du détroit de Lembeh au large de Sulawesi en Indonésie. Bien qu’il soit en vérité présent dans la majorité des mers tropicales du globe, c’est dans cette zone indonésienne qu’il est possible de rencontrer le plus de représentants de cette famille en termes de couleurs mais aussi de morphologie. Ainsi, au détroit de Lembeh, il est possible d’observer l’antennaire géant, l’antennaire psychédélique, l’antennaire strié ou encore l’antennaire des sargasses qui se laisse porter à la dérive au milieu d’amas d’algues. Quoi qu’il en soit, si l’antennaire (aussi appelé poisson-grenouille) retient tout notre attention, c’est parce qu’il possède des caractéristiques qui en font une espèce unique ! Tout d’abord, leur corps imite la forme d’une formation rocheuse lisse ou bien recouverte d’algues ! Leurs nageoires leur servent plus à ramper qu’à nager et en réalité, ils sont presque tous incapables de nager. Ils passent ainsi la majorité de leur vie sur les fonds océaniques (ou bien à bord d’un radeau de sargasses en ce qui concerne l’antennaire de sargasses). 

Les antennaires possèdent tellement peu d’aptitude à la nage qu’il n’est pas rare de les observer durant plusieurs jours sur le même emplacement. Étant quasiment invisible pour le commun des créatures sous-marines, il n’est pas dangereux pour lui, contrairement à d’autres espèces, de rester en toute immobilité. C’est ainsi qu’est faite la vie du poisson-grenouille. S’il y a bien une qualité que l’on peut lui attribuer, c’est la patience. Les poissons de récifs étant souvent en mouvement et plein de dynamisme, il lui faut compter sur son facteur chance afin de pouvoir s’alimenter. C’est ainsi que la nature lui a tout de même donné un petit coup de pouce en supplément de son super camouflage pour s’alimenter : son leurre. Et oui, son autre surnom n’est autre que le « poisson-pêcheur ». Cette dénomination lui est attribué à cause du leurre, qui est en fait une excroissance située juste au-dessus de sa tête. On l’appelle dans le jargon « esca » et c’est en fait l’étude de cet attribut qui permet de véritablement identifier l’espèce rencontrée (en fonction qu’il ressemble à un vers, un petit poisson, un polychète ou autre).

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3. Le poisson lézard

Changement d’ambiance pour une petite confrontation avec le poisson-lézard. Ce poisson est présent lui aussi un peu partout dans le monde, il est également possible de le rencontrer en Méditerranée mais là où vous pouvez l’observer le plus facilement et en nombre c’est dans la région Atlantique, et plus particulièrement dans les eaux qui baignent l’archipel des Canaries. A Lanzarote, ce poisson est particulièrement abondant sur les bancs de sable qui jouxtent les formations rocheuses. On le surnomme poisson-lézard à cause de la forme de sa tête, particulièrement effilée, taillée en forme de triangle et plate, similaire donc à celle des reptiles (bon oui, vu de loin on vous l’accorde !). En plongée, vous remarquerez sans doute sa bouche inclinée vers le haut, morphologie qu’il partage aussi avec le poisson-pierre ou encore l’antennaire, sous-entendant ainsi que l’on a affaire à un prédateur évoluant sur les fonds marins, et dont les proies se situent, pour ainsi dire, au-dessus de sa tête. Les as du camouflage seraient-ils donc des grands habitués des fonds ? Il en ressort que oui dans leur grande majorité mais nous verrons par la suite que d’autres espèces peuvent évoluer en pleine eau. En ce qui concerne le poisson lézard, il peut tout de même atteindre les 40cm de long, et quand il sait qu’il est capable d’engloutir en une seule bouchée des poissons aussi larges que sa tête, cela fait froid dans le dos. 

En vérité, le poisson-lézard passe lui aussi une grande majorité de son temps à guetter les proies, cependant, contrairement aux espèces présentées précédemment, il est tout à fait capable de se déplacer où il le souhaite, et ce dans une grande vitesse. Ses proies sont avant tout constituées de poissons, souvent de bonne taille, ainsi que de crustacés. Son corps, de couleur beige avec quelques rayures plus sombres lui permet de passer incognito dans le sable où il apprécie s’enfouir en quasi-totalité. La plupart du temps, il laisse seulement ses deux yeux dépasser du lit de sable, avant de bondir sur la prochaine proie qui pourrait passer par là. Ces dernières années, on constate de plus en plus de poissons-lézards près des côtes françaises (d’ailleurs certains le confondent avec les vives qui partagent le même habitat sablonneux). Ils remontent ainsi des côtes africaines vers les rives du nord de la Méditerranée à cause du réchauffement climatique. 

En réalité, le poisson lézard possède un mode de vie assez similaire à celui du poisson-crocodile de Beaufort (décidemment ces reptiles... !), un autre poisson benthique, quant à lui, est davantage présent dans la zone pacifique et en mer Rouge. Le poisson-crocodile de Beaufort se dissimule lui aussi sous le sable, cependant, il atteint une taille plus conséquente, parfois jusqu’à 50cm, et ses yeux masqués par un replis de peau, similaire à de petites algues, le rendent encore plus invisible que son cousin le poisson-lézard. Concernant sa rapidité, ses proies ont peu de chance de lui échapper quand on sait qu’il peut surgir sur elles à quasi 55km/h... 

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4. La rascasse

Alors voici une appellation qui englobe plusieurs espèces évoluant sur les fonds marins mais possédant toutes une particularité : des rayons épineux sur les nageoires dorsales et pectorales. Parmi les espèces figurant sur notre liste, c’est sans doute celle qui vous parle le plus étant donné qu’on la croise en nombre le long de nos côtes méditerranéennes ou tout simplement au marché aux poissons. Le corps de la rascasse a un aspect particulier : il est plutôt ovale et comprimé latéralement. L’intégralité de leur corps est plutôt terne ou bien a tendance à tirer vers le rouge en fonction de leur habitat. Les rascasses brunes seront ainsi plus fréquentes à observer sur les rochers et autour des grands herbiers de posidonies, tranquillement posées sur un rocher, alors que les espèces aux colorations plus rouges seront observées plus en profondeur, ou en tout cas à proximité des cavités et des failles où se rencontrent les apogons, anthias et autres petits bijoux de la faune sous-marine méditerranéenne. 

Qu’elle soit brune ou plutôt rouge, la rascasse a la particularité de posséder une robe comportant de petites excroissances de peau et osseuses, lui donnant ainsi l’apparence d’un petit rocher imparfait colonisé par la végétation. Ces algues dignement imitées vont jusqu’à orner les pourtours de sa mandibule, autre nom donné à son impressionnante mâchoire inférieure, qui semble comme disproportionnée en comparaison de la longueur de son corps. La rascasse chasse à l’affut et a une activité nocturne bien plus intense que durant la journée. Elle se nourrit principalement de petits poissons et de crustacés ainsi que de petits céphalopodes quand elle en a l’occasion. La rascasse aurait pu, elle aussi, bénéficier d’une appellation faisant écho aux reptiles terrestres car comme pour bon nombre d’entre-eux, elle a la faculté de pouvoir « muer » régulièrement, jusqu’à une fois par mois et parfois plus. Ce changement de robe lui permet de se débarrasser de son ancienne peau qu’elle supporte bien plus difficilement que le poisson-pierre lorsqu’elle est trop envahie par les algues encroutantes. Pas de référence au reptile on l’aura compris mais plutôt à un insecte pour les rascasses. Et oui, la rascasse est également surnommée « poisson-scorpion » ou bien « Scorpène ». Il s’agit là d’une francisation de son nom latin « Scorpaena » venant lui-même de « Scorpio », signifiant « scorpion » comme vous vous en doutez. Ce nom charmant lui vient non d’une ressemblance avec l’animal terrestre mais de son caractère venimeux. 

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5. Le poisson fantôme

Terminons notre tour d’horizon des espèces qui excellent dans le camouflage par un poisson de pleine eau pour changer : le poisson-fantôme ! 

En voilà encore un doté d’un nom peu rassurant mais ne vous fiez pas aux apparences ! Nous terminons avec une espèce tout à fait pacifique et dénuée d’une bouche à faire pâlir un grand blanc ! Non, le poisson-fantôme joue plutôt dans la cour du raffinement et de la rareté. Avec une taille relativement réduite, il atteint tout juste les 12cm de long, ce qui le rend plutôt compliqué à apercevoir, d’autant plus qu’il apprécie évoluer autour des récifs coralliens, là où les courants sont assez forts et donc chargés en débris végétaux, lui permettant ainsi de se cacher à son aise. En réalité, le poisson fantôme appartient à la même famille que les hippocampes et les syngnathes, c’est la parfaite combinaison entre ces deux espèces (bien que chez le poisson-fantôme, c’est la femelle qui s’occupe de la gestation de la progéniture). La couleur est très variable en fonction de sa répartition géographique, ainsi, en fonction de son apparence, il peut revêtir différentes appellations comme le poisson-fantôme d’herbier, pouvant être noir à vert flash, ou encore poisson-fantôme arlequin, qui est quant à lui plus souvent orange à rouge et recouvert de petits ornements ressemblant à des excroissances végétales. 

Le poisson fantôme utilise donc cette peau (qui est en réalité composée d’une multitude de petites plaques osseuses) en guise de camouflage pour se fondre dans son environnement. Il est donc lui aussi dans une stratégie de mimétisme et comment ne pas le trouver sympathique lorsqu’il se cache dans les gorgones, algues et herbes dans lesquels il se confond à la perfection ? Pour être totalement fidèle aux débris végétaux, il se laisse dériver, le plus souvent à la verticale, la tête en bas, ses prédateurs et proies (de petits invertébrés) peinant ainsi à le voir. Cette position est son angle d’attaque et elle le rend véritablement très difficile à observer, c’est pour cela que son observation est relativement rare en plongée. 

Nous espérons que cet article dédié aux espèces qui passent leur temps à se cacher vous a plu et qu’il vous a aider à mieux comprendre comment évolue cette faune secrète qui demande parfois des années passées sous l’eau pour être décelée. Des espèces sur lesquelles on en apprend tous les jours et dont l’on recence chaque année de nouveaux représentants à travers le monde. Pour vivre heureux, vivons cachés !